Mes souvenirs d'enfance sur le goémon à Groix remontent aux années d'après guerre, car, pendant celle-ci, sauf les premiers temps, nous n'avions pas accès à la côte.
Je me souviens qu'à l'automne, quand une tempête ou une grande marée avait ramené du goémon en abondance sur les grèves, mes parents, comme la plupart des groisillons de Primiture, se précipitaient sur la côte, armés de brouettes et de civières. Les lieux privilégiés étaient Locmaria, Porh Gigéou (on prononce Perzidjeou), et Port Morvil. Là où le sable était mou et où la roue des brouettes s'enfonçait, on privilégiait la civière. Le goémon remonté était entassé sur la côte en de grands tas rectangulaires. On le laissait ainsi passer l'hiver au cours duquel les pluies le dessalaient. Il se transformait alors en une sorte de compost que les vers ne tardaient pas à coloniser. J'ai le souvenir de nuées d'étourneaux s'abattant sur les tas pour y festoyer.
Les charretiers participaient aussi à la cueillette, pour eux mêmes ou pour des clients. Des rampes d'accès pour les charrettes existaient alors dans les trois anses précitées
En février-mars, les charretiers transportaient le goémon mûr sur les sillons où il était mélangé à la terre, ou, comme c'était le cas avec mes parents, incorporé auparavant au fumier de vache. Sur la carte postale ci-dessus, on voit des femmes charger le goémon décomposé dans des charrettes sur la côte de Locmaria.
On ne peut parler du goémon à Groix sans mentionner celui que l'on coupait directement sur les rochers pour servir de combustible. On l'appelait « behin-tan ». On le mettait à sécher pour ensuite le brûler dans la cheminée, sous la marmite. J'ai le souvenir des pétards qui claquaient dans la cheminée de ma grand-mère et qui provenaient de l'éclatement des petites poches dont étaient chargées les branches de ce goémon.
Dans les années 60, je me rappelle de femmes et d'enfants se précipitant à la côte pour cueillir un petit goémon fin destiné à la pharmacie, disait-on. Cette cueillette n'était possible qu'aux grandes marées, car ce goémon se trouvait très bas dans la côte.
Les goémoniers.
Vers 1930, trois familles du pays bigouden vinrent s'installer à Groix pour y cueillir le goémon et le transformer : les Pochic, les Autret et les Coupas. La carte postale de « Nozais », montre Tudy Pochic, sur son bateau, le Noëlla, rentrant dans l'anse des Chats, chargé du goémon qu'il avait arraché avec des crocs. | |
| Ce goémon sera transporté sur les rochers plats au pied même du phare. Là existe encore la faille rocheuse qui leur servait de foyer et que l'on peut voir sur la photo ci-contre. Elle est aujourd'hui encombrée de rochers ramenés par la mer. Ils n'étaient sûrement pas là, à l'époque. Ils la bourraient de bois et, sans doute sur une grille, y posaient le goémon et y mettaient le feu. Cette combustion donnait de la soude qu'ils vendaient sur le continent. Ce commerce rapportait peu et les familles étaient très pauvres. Ces détails reposent sur les souvenirs d’André Raude de Locmaria et de Paulette Raude-Lorec fille de l'ancien gardien du phare des Chats, Mr Lorec. |
Les derniers goémoniers
Dans un passé récent, et jusqu'à ces toutes dernières années, lorsque l'on se promenait sur le sentier côtier qui relie le port de Locmaria au phare des Chats, on ne manquait pas de remarquer une drôle d'embarcation qui avait l'allure d'une barge et ressemblait beaucoup au bateau cueilleur de moules de Patrick Saigot. On ne manquait pas non plus de s'interroger sur l'activité intense qui semblait régner à bord et qu'accompagnait un bruit rappelant celui d'un chantier. Avec de bons yeux ou avec des jumelles, on distinguait une sorte de grue tournante qui semblait arracher à la mer de longs serpents bruns qui étaient en fait des laminaires. Notre bateau bizarre était un goémonier moderne. Aujourd'hui, on ne le voit plus et, renseignements pris à la mairie et aux affaires maritimes de Lorient, on n'a pu me donner les raisons de son absence.
La vue de ce bateau et de ces hommes arrachant à la mer ces énormes masses de goémon, avaient attiré l'attention de Joseph Stéphant Beudeff qui, dans les années 70/80, avait l'habitude de se promener sur cette côte. A la même époque, la plage des Grands Sables avait déjà commencé sa migration vers le Nord. Joseph en avait conclu que l'arrachage de ces laminaires avait supprimé un frein naturel à la puissance des courants qui contournaient la base des Chats et venaient balayer les grands sables. D'aucuns diront que cette migration a déjà eu lieu dans le passé mais, après tout, cette théorie en vaut bien d'autres...