DES COMMERCANTS  AUTREFOIS , par Anne Catherine Viennot

Qu'en était-il des commerçants (autres que débitants !) à Groix au XIXème et au début du XXème siècle ?
 
   Si par commerçant nous entendons toute personne qui vend un produit sans l'avoir fabriqué, nous pouvons dire que leur nombre augmente tout le long du XIXème siècle. Ce qui est à mettre en parallèle avec l'essor démographique que connait l’île.
En 1838... 18 commerçants sont dénombrés,
En 1858... 91
En 1871... 157
En 1881... 194
Et en 1911 on retombe à 123 (?) dont 96 femmes et 27 hommes.
   Si les femmes sont très largement majoritaires, certaines professions restent réservées aux hommes : c’est le cas des marchands de vin en gros et des boulangers ; des métiers qui réclament une certaine force physique !
   Ces commerçants sont essentiellement des natifs : sur 123, 35 seulement sont nés à l’extérieur.
 
   Le commerce est une activité d'appoint ; c'est dans la majorité des cas la deuxième source de revenus du couple. Les femmes qui ne sont pas cultivatrices sont souvent commerçantes ou débitantes.

   Quels sont les principaux commerces ?
 



    Commençons par les boulangeries : En 1835 il y a un boulanger au Bourg ainsi qu'un « revendeur de pains » qui doit faire la tournée des villages.
   Dix ans plus tôt le recteur Le Livec s'élevait contre les abus exercés par les boulangers. Ceux-ci avaient obtenu « un liard par livre en sus de la taxe du continent pour les frais que leur causait l'importation de blé et de bois », mais en 1825 la situation a évolué « On ne manipule à Groix que le blé de l'île qui est presque toujours de 2 francs en dessous de celui du continent ».
   Les boulangers groisillons ont donc « 2 francs 44 centimes par minot » (1) en plus du profit des boulangers du continent et ce en vertu de lois obsolètes !
   Mais ce n'est pas tout, les boulangers font encore d'autres profits sur le dos des îliens « ils fabriquent des pains d'un sou et retirent plus de 400 pains d'un minot de froment qui a couté 12 francs, ils font ainsi un profit de 8 francs ! »
   Appât du gain ou nécessité, le nombre de boulangers augmente : en 1856, 3 établissements de boulangers et de pâtissier (3 boulangeries et une seule boulangerie pâtisserie) se tiennent à Groix, soit à peu près un boulanger pour 1000 habitants.
   En 1911 on est passé à 5 : 2 au Bourg, 2 à Port-Tudy et un à Locmaria. A noter qu’à l'époque le Bourg compte moins d'habitants que Locmaria (872 contre 1041) mais c'est le centre de l’île, le lieu d'élection de l'église paroissiale et de la mairie. Une seule pâtisserie toujours, à Port-Tudy.
 

   Il faut rappeler aussi, qu'au début du XXème siècle, beaucoup de groisillons possédaient encore des fours dans lesquels ils faisaient cuire eux même le pain de la semaine, un pain qui sentait bon la lande.

   Quid des boucheries ? Et bien il n'y en n'a pas avant 1800. La viande est un mets de luxe, le cheptel n'est guère florissant et les habitants ont l'habitude de tuer le cochon une fois dans l’année. La viande du précieux animal, salée, est conservée dans de grands charniers en terre et doit suffire pour les 12 mois suivants.
   En 1856, 3 bouchères sont signalées, cela veut il dire qu'il y a 3 boucheries ? Cela semble le cas en 1911.
 
   Peu de boulangers comme de bouchers, mais de nombreux commerçants comme les intitulent les recensements. Certains se font appeler épiciers …
   Que vendent-ils ? Un peu de tout … De l'alimentation bien sur, mais aussi de la quincaillerie, des articles ménagers …
   L'île doit faire venir du continent un certain nombre de denrées et d'objets qui lui sont indispensables. Les états justificatifs de ses besoins pour les années 1810-1816 nous sont à cet égard précieux.
    Les groisillons font venir :
  • de la farine de mil, de blé noir, de seigle, des pommes de terre, du beurre, du sucre, du café, du poivre, de l'huile, des marrons, des fruits tant verts que secs, du poisson salé et sec à l'usage des marins.
   Ce sont également des ustensiles à usage domestique :
  • des chandelles, du savon, de la cendre pour la lessive, des pièces de vaisselle en faïence et en terre
   et aussi des meubles. L'état de 1811 distingue :
  • des armoires : 100 pièces
  • des lits : 50 pièces
  • des bancs : 100 pièces
  • des coffres : 100 pièces
  • des chaises : 100 pièces
 
   En 1911 il y a 22 commerçants au Bourg et près de la moitié des villages possèdent une boutique, toutefois la répartition spatiale est très inégale. Sept sont établis à Locmaria et sept autres à Port-Tudy. Ces trois foyers groupent 4 fois plus de commerçants que les autres réunis. Ce sont véritablement les centres de l'île.
   Il y a ensuite 2 commerces à Port-Lay, 2 à Kerrohet, 2 à Landocrite, 1 au Méné, 1 à Kerampoulo, 1à Kerlard, 1 à Kerclavezic, 1 à Kermario et 1 à Kerport-Lay.
   Primiture apparaît bien comme plus dynamique que Piwisi ...
 
Et puis il y a les commerçants ambulants qui parcourent l'île pour écouler leurs marchandises, ce qui ne va pas sans certains abus et donc la mise en place de réglementations.
 
  
   On reproche à certains de profiter de l'absence des parents pour « échanger 2 sous de pommes contre 20 sous de froment »
   Et puis il y a une période faste pour les achats : celle où les hommes reviennent de pêche ; les forains ne s'y trompent pas. Voici ce qu'en dit le recteur Le Livec vers 1825 : « De même que pendant la saison des semailles on voit des bandes de corbeaux et de goélands s'abattre sur notre île pour grappiller dans nos sillons, ainsi après chacune de nos pêches, on voit une foule de marchands s'installer, le dimanche surtout dans les rues, sur les places du Bourg, offrant au public les marchandises les plus diverses … la circulation est rendue difficile et même dans certains cas impossible par les volumineux étalages de ces boutiques » 
   En 1904 le conseil municipal estime qu'ils gênent la circulation sur les voies publiques et met en place une taxe : 5 francs par voiture attelée d'un cheval, 3 francs par voiture attelée d'un âne, 2 francs par voiture à bras et 1 franc par brouette !

   En ce début du XXIème siècle la concentration a fait son œuvre : le Bourg regroupe les activités que nous avons évoquées comme aussi celles des artisans  (boutiquiers ou non) qu’il nous reste à étudier !
 
                   

 
Publicités au dos des horaires d’été 1933 de la Compagnie des vapeurs de Groix

 
(1) minot : ancienne mesure de capacité utilisée pour les matières sèches comme les céréales. Dans le Morbihan le minot de froment correspond à environ 120Kg (mesure d'hennebont).
 
La boulangerie de Port-Tudy